Paul Ier Protecteur,

puis Grand Maître

En 1797 l’empereur Paul Ier de Russie accepta le rôle éminent de Protecteur de l’Ordre de Malte. Il avait auparavant favorisé l’essor d’un Grand Prieuré catholique-romain en Russie pour les sujets polonais de l’Empire. L’Empereur fut alors reçu dans l’Ordre en tant que Grand-Croix avec l’habit religieux. Sa position de chrétien-orthodoxe et d’homme marié ne posa, semble-t-il, aucun problème aux autorités de l’Ordre. Il faut rappeler ici que des dispenses pour mariage étaient alors relativement fréquentes et que les « non-catholiques » du Grand Bailliage de Brandebourg avaient été depuis bien longtemps « tolérés » dans l’Ordre.
Désormais en France l’Ordre n’existait plus : le Gouvernement révolutionnaire avait confisqué et nationalisé tous ses biens ainsi que ceux de ses membres. En 1798 l’île de Malte fut attaquée et pillée par les troupes révolutionnaires de Bonaparte. Le Grand Maître Hompesch n’opposa, à ce qu’il paraît, aucune résistance. Environ deux cents chevaliers (ils avaient été aussi au nombre de deux cents, ces chevaliers qui avaient débarqué à Malte en 1530), issus de toutes les Langues de l’Ordre, trouvèrent refuge à Saint-Pétersbourg auprès de leur Protecteur qui en ces temps de crise extrême représentait l’ultime et seul recours. C’est tout naturellement que ce même groupe de chevaliers déposa le Grand-Maître Hompesch (qui devait abdiquer d’ailleurs en 1799) et élut à sa place l’empereur Paul Ier comme 72ème Grand Maître de l’Ordre, celui-ci réunissant une double souveraineté autrement appelée « union personnelle ». Cette élection fut dans un premier temps acceptée par le Pape de Rome et reconnue par la majorité des cours européennes. Seuls les prieurés d’Espagne et d’Italie refusèrent de reconnaître le nouveau Grand Maître.

Le Grand Prieuré Russe

Après l'élection de l'Empereur celui-ci confirma et ratifia pour lui-même et ses successeurs, « pour les temps éternels » (na vetchnye vremena) l’établissement de l’Ordre sur ses territoires. L'Ordre accepta en son sein de nombreux gentilshommes russes orthodoxes, mais aussi des sujets catholiques-romains (surtout polonais) aussi bien que quelques protestants. L’Ordre établit son siège au Palais Worontzov à Saint-Pétersbourg. Deux chapelles y furent construites, l’une Orthodoxe, l'autre Catholique-romaine. En 1800, le Grand Prieuré Russe comptait plus de quatre cents chevaliers et dames, tandis que de son coté le Grand Prieuré Catholique n’en comptait que deux cents.
Alors furent créées vingt et une commanderies « ancestrales », « de famille » ou de jus patronat (nommément désignées comme héréditaires dans l’oukase fondateur du 21 juillet 1799 qui use précisément de l’expression de « droits héréditaires »). L’empereur Alexandre Ier créera par la suite deux autres de ces commanderies héréditaires. Ces vingt-trois institutions constitueront la véritable « colonne vertébrale » du Grand Prieuré Russe (orthodoxe et néanmoins ouvert aux chrétiens des autre confessions). On notera que par la suite ont sans doute été créés un assez grand nombre de chevaliers et commandeurs héréditaires non de jus patronat, mais la Révolution a détruit ou dispersé beaucoup de documents et l'on n'a pour l'heure que peu de preuve formelle (autre qu'iconographique) de l'existence de ces autres "héréditaires".
Cette nouvelle « Langue Russe autonome » fut regardée par le Pape de Rome Pie VII comme « tolérée, (…) mais pourtant jamais approuvée. » Un autre texte parlera « d’agrégation de croix de dévotions ». On notera qu’il s’agit là de la même attitude qui avait été adoptée lors de la « scission », au temps de la Réforme, du Grand Bailliage de Brandebourg.
Paul Ier, farouche adversaire des « Lumières », voulait établir une élite chevaleresque chrétienne qui puisse faire face durablement à l’idéologie destructrice et subversive de la Révolution française. Ce « grand dessein » contre-révolutionnaire de l’empereur Paul Ier subsista jusqu’à nos jours au sein du Grand-Prieuré Russe. Voici ce qu’écrivait à ce sujet en 1955 le Baron Michel de Taube (qui était catholique-romain) : « Si l'on passe donc maintenant aux explications du « projet maltais » données par la politique intérieure et sociale de Paul Ier, on doit constater avant tout qu'après une courte période politique de non-intervention dans les affaires de l'Europe occidentale, ce tsar finit par se déclarer ennemi acharné de la Révolution française — ou, plus exactement, de l'esprit révolutionnaire — et par prendre part, comme nous l'avons vu, à la coalition européenne formée contre la France. Il est évident que l'Ordre de Malte, et spécialement la création de sa branche russe, ne pouvait pas ne pas jouer, dans l'esprit du tsar, un rôle considérable dans l'économie générale de ses projets d'action légitimiste et anti-révolutionnaire pan-européenne. Une circonstance peu connue, mais de la plus grande importance doit être constatée dans cet ordre d'idées. Le fait est que, antérieurement à toutes les décisions prises à Saint-Pétersbourg vers la fin de l'année 1798 par les chevaliers de Malte et le tsar, pour faire passer à Paul Ier l'héritage de Hompesch (qui n'abdiqua qu'en 1799), un mémoire confidentiel anonyme fut présenté au souverain russe par un chevalier de l'Ordre, resté inconnu. Ce mémoire lui suggérait l'idée de grouper, autour de l'Ordre de Malte, toutes les forces militaires et intellectuelles de l'Europe sans distinctions de nationalités, classes et confessions en vue d'enrayer le mouvement révolutionnaire, parti de France, qui menaçait non seulement « les trônes et les autels », mais, en dernière analyse, tout l'ordre de choses existant dans l'Europe civilisée. Nous devons ce précieux renseignement à une rarissime brochure, également anonyme, parue en Suisse (à Aarau) sept ans après la mort de l'empereur (1808) sous le titre : « Paul Ier, empereur de Russie, comme grand-maître de Malte ». Elle commente longuement le mémoire en question en lui attribuant une signification décisive quant au développement possible et désirable des idées que le défunt tsar avait fait siennes. En 1798-1799, il s'agissait donc bien d'un projet de ligue internationale légitimiste (chrétienne, mais extra-confessionnelle), à opposer aux doctrines et agissements des révolutionnaires de France. Il est hors de doute que les considérations de cette nature jouèrent un rôle dans la politique de Paul Ier . »

1) Au sens où l’entendait Joseph de Maistre, c’est-à-dire loin de toute crispation ou idéologie purement réactionnaire

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Images de haut en bas:
(1) Paul Ier Grand Maître de l'Ordre de Malte
(2) Sceau de l'Ordre sous Paul Ier

 



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